"Le 11 octobre 2011, Henri, Francis, André et moi nous envolions vers la Hongrie. Nous n’avons pas pu embarquer Fabrice qui, bien que prévu dans la délégation, était à ce moment hospitalisé.
"Nous avions préparé la rencontre avec l’ensemble de nos publics intéressés par la démarche. Beaucoup de questions étaient soulevées, d’autant plus qu’aucun d’entre nous n’avait jamais visité le pays : pourrions-nous nous faire comprendre en français (notamment quand nous prendrions le train pour Solznolsk) ? Nos amis hongrois développent-ils des activités comparables à ce que nous avons vu en France ? Comment les associations vivent-elles l’après communisme ? Comment perçoivent-ils les populations roms ? Sont-ils attentifs à l’exercice de la démocratie dans leur pays ?
"Dés notre arrivée, nous sommes confrontés à la rencontre d’une autre culture : une couleur des années 60 se combine à des touches évidentes de modernité. Depuis la gare de Budapest, nous avons quelques difficultés pour rejoindre le train vers notre destination : beaucoup de publicités pour des produits high-tech, mais pas de panneaux indicateurs, si ce n’est sur un quai non éclairé un horaire dactylographié en hongrois (les caractères nous sont familiers, mais les mots ne se rapprochent d’aucun mot connu de nous). Heureusement, les quelques hongrois présents sur le quai nous renseignent très cordialement, gsm à la main.
"L’hôtel qui nous accueille dans des chambres individuelles nous convient parfaitement et nous retrouvons les autres délégations déjà à table : le repas est à l’image de ce que nous découvrirons par la suite: traditionnel et nourrissant.
"Beaucoup des activités qui nous seront présentées sont axées sur la valorisation des traditions culturelles : danses, artisanat, etc.
"Nous sommes intrigués par le fait que la traduction anglaise de “école populaire” soit “Folk school”. Le détour des langues nous permet de mieux comprendre les diversités de représentations. Pour eux l’expression “éducation populaire” est aussi (et peut être surtout) compris dans son sens de transmission des savoirs et des pratiques culturelles nationales, le peuple étant défini dans son sens anthropologique de groupe identitaire, référé à une langue, une culture et en l’occurrence un pays dont ils sont très fiers… L’idéologie nationaliste y est partout présente, y compris sur les cartes géographiques affichées dans les centres culturels ou les locaux scolaires : c’est la nostalgie de la “Grande Hongrie” d’avant le traité de Trianon en 1920 qui y apparaît, ce qui rappelle de mauvais souvenirs à nos amis allemands : après la seconde guerre mondiale, les manuels scolaires y présentaient aussi une géographie fort subjective de leur pays.
"La réalité européenne est décidément fort diverse surtout pour nous qui venons d’un pays dont on se demande s’il existe encore…
"C’est aussi pour chacun l’occasion de prendre du recul par rapport à notre ethnocentrisme culturel : nos expériences sont différentes, mais n’avons nous pas tendance à ériger la nôtre en modèle plutôt que de construire ensemble des pratiques communes sur des valeurs qui nous rassemblent, sans pour cela tomber dans un consensus mou de discours convenu ou un puzzle de pratiques contradictoires qui déforcerait notre esprit critique et donc l’exercice de notre citoyenneté ?
"C’est aussi un acquis de notre expérience Grundwig.
"Bien que la langue soit un obstacle majeur dans nos contacts avec des acteurs associatifs de base hongrois, nous avons quand même pu vérifier une hypothèse : les activités qu’ils développent essentiellement constituent une recherche d’identité. Confrontés à deux expériences de régimes totalitaires (nazisme puis communisme), les hongrois se sont ouverts, dans un même élan, à la démocratie politique et au capitalisme financier ce qui est évidemment, pour eux comme pour nous, source de contradictions : moins d’intervention des pouvoirs publics, c’est aussi une dérégulation économique, sociale et culturelle. Ils sont insatisfaits de l’état de leur système scolaire et regrettent qu’il n’y ait pas subventionnement structurel du monde associatif.
"L’expérience très intéressante qui nous a été présentée de formation d’animateurs de communautés locales a été possible par l’obtention du prix d’un concours : elle n’a malheureusement pas la garantie d’un développement durable alors qu’elle semble bien correspondre à un réel besoin de développement économique, culturel et social.
"En comparant avec la réalité de tous les partenaires nous constatons partout que la fragilisation des initiatives d’éducation populaire, soumise à des financements qui quelquefois les détournent de leur finalité et portées par des travailleurs à statut précaire, est d’autant plus inquiétante, que la pression du remboursement des dettes souveraines amène des politiques d’austérité.
"La parole partagée a aussi cet effet de prise de conscience : l’Europe que nous souhaitons n’est pas nécessairement celle que nous subissons.
"Pour l’instant, nos amis hongrois semblent plutôt rechercher les solutions dans leur passé : les associations qu’ils font revivre sont celles qui existaient il y a une centaine d’années mais nous avons constaté leur volonté d’y impulser de nouvelles dynamiques et particulièrement celle de la citoyenneté. C’est le sens du travail qu’ils mènent avec les jeunes dans leurs ateliers dramatiques : ils nous ont expliqué y proposer des jeux structurés qui familiarisent les jeunes à l’exercice du droit de vote.
"A côté de cela, nous les avons vu proposer aux plus jeunes l’enfilage de perles et la répétition de chants traditionnels, ces mêmes jeunes qui, une fois rentrés chez eux plongent sur leurs Ipods et communiquent sur Facebook…"